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LA VERITE : APPROCHE COLLABORATIVE ET CONTEMPORAINE

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MENSONGE MEDICAL VERTUEUX OU VERITE NUANCEE - Paul Léophonte

5 Novembre 2019 , Rédigé par Paul Léophonte Publié dans #MEDECINE

MENSONGE MEDICAL VERTUEUX OU VERITE NUANCEE - Paul Léophonte

Huitième Commandement et mensonge médical vertueux, ou vérité nuancée

 

Pr Paul LEOPHONTE

Professeur des Universités

Membre correspondant de l’Académie Nationale de Médecine

 

Quand j’ai commencé mes études médicales il y a plus d’un demi-siècle il était d’usage selon la gravité du diagnostic de ne pas dire toute la vérité au malade. On noyait dans les circonlocutions et les euphémismes une maladie grave, on demeurait vague sur un pronostic fatal à court ou moyen terme. Il fallait rassurer, accompagner, donner de l’espoir en gagnant du temps sur l’évidence du mal, éloigner le spectre d’une fatalité porteuse de désespoir. Jeune pneumo-phtisiologue, je me rappelle qu’on ne prononçait encore qu’avec précaution, selon l’environnement social et le profil psychologique du malade, le mot de tuberculose bien qu’on disposât désormais des moyens de traiter efficacement un mal encore entaché de la peur millénariste de la phtisie et des aléas pronostiques qui avaient pesé auparavant sur le poitrinaire. On disait une bacillose. Un de mes vieux maîtres qui avait connu l’époque des sanas, quand le mal terrible jouait avec l’espérance (selon une formule de Joseph Kessel), préférait employer le mot phi – une phimatose, disait-il avec la gravité pénétrée d’un médecin de Molière.

Le cancer était un mot tabou, quasi synonyme de mort, doublé d’une connotation obscène, au sens de mauvais augure, abominable, répugnant, offensant pour les sens, nous rappelle Susan Sontag dans son essai sur la maladie comme métaphore. On disait néo, abréviation de néoplasie ; un substantif encore trop transparent aux yeux de mon vieux maître qui préférait dire une polymitose. On disait BW positif ou sygma pour la syphilis, éthanolisme pour alcoolisme et hépatopathie oenolique pour désigner la cirrhose qui en était la conséquence, cérébrosclérose pour qualifier la démence… Le jargon et la métaphore étaient d’usage à l’hôpital au lit du malade qui écoutait sans trop comprendre jusqu’à ce qu’on lui expliquât comme à un enfant ce qu’il pouvait ou devait entendre.

 

Le mensonge par omission, selon la gravité du diagnostic ou la sévérité du pronostic, participait de la dimension humaine de la médecine. Selon ce qu’on pressentait des ressorts psychologiques du malade, sa force d’âme ou ses fragilités, il fallait dissimuler juste assez pour ne pas le désespérer sans tout à fait le mystifier, et obtenir son assentiment pour qu’il se soumît aux impératifs du traitement, en acceptât la lourdeur et les effets secondaires parfois. Le mensonge par omission bénéficiait de la complicité d’un ou plusieurs membres de la famille, informés de la nature de l’affection et de son pronostic. Il arrivait que le patient lui même choisît une forme de passivité et décidât de ne pas voir, ni n’entendre, ni ne dire, comme les trois singes de la sagesse confucéenne. Combien de fois ai-je entendu de la bouche de l’un des proches : surtout ne lui dites pas qu’il a le cancer…et du malade lui-même, regard empreint de crainte et d’espérance mêlées : ce n’est pas le cancer, n’est-ce pas docteur ?... On lui répondait que cela pouvait le devenir, que c’était suffisamment sérieux pour imposer une prise en charge contraignante, une opération, des rayons (on évitait de dire une radiothérapie) ou une thérapeutique lourde par perfusions cycliques (le mot chimiothérapie était aussi tabou que celui de cancer). Le malade s’accommodait d’une dissimulation à mi-chemin de la vérité et du mensonge. Sans que la crainte fût tout à fait dissipée, pas toujours dupe tout en désirant l’être, on voyait ses traits se détendre, son regard s’éclairer, on venait de lui procurer sans céder sur les contraintes du mal et de son traitement un temps de relative quiétude et d’espérance.

 

Il appartenait en définitive au médecin, dans la relation singulière l’unissant au malade qui s’était confié à lui, de déterminer au cas par cas s’il devait verbaliser un mal incurable ou en taire la nature exacte et la gravité potentielle, sans abdiquer sur le traitement le plus judicieux ; autrement dit si la révélation du diagnostic serait un atout pour le traitement ou une entrave susceptible de hâter la progression du mal. Cette démarche nuancée que n’enseigne aucun traité, dont aucun ordinateur, aucune recommandation d’expert, aucun guideline ne donnent la clé car elle ne procède pas d’une réponse binaire entre le bien et le mal, le bon et le mauvais, le vrai et le faux a fait longtemps toute la complexité de la relation humaine en médecine. Est-elle désormais obsolète, fautive, voire susceptible de faire du médecin un justiciable ?

 

C’est peu dire qu’en quelques décennies les temps et les comportements ont changé. La médecine a évolué, elle fait appel à une plus haute technicité, à plus de précision diagnostique et sémantique (la maladie épurée de ses métaphores); elle est d’une plus grande efficacité dans le traitement d’affections jadis inexorables  – ainsi des cancers, pour reprendre un paradigme chargé de mythes, curables ou d’une évolution maîtrisée sous forme de rémissions sur une durée de plusieurs années pour un nombre croissant d’entre eux. La psychologie du malade a changé elle aussi : une exigence de transparence a gagné, sous-tendue par une information vulgarisée via les médias et l’internet; les plaintes ne sont plus seulement l’expression d’une souffrance, il arrive qu’elles soient aussi une revendication qui s’exprime devant des tribunaux. La législation sur les droits des malades elle même a évolué. Elle requiert du médecin une information loyale, claire et appropriée afin d’obtenir le consentement éclairé du patient.

 

Comment ne pas souscrire à ces impératifs? Mais jusqu’où aller ou ne pas aller dans la formulation d’une vérité appropriée ? Le diagnostic, les modalités du traitement, les aléas des investigations ou des thérapeutiques doivent être, sans détour, explicités. Chaque examen para-clinique ou acte opératoire quels qu’ils soient sont assortis d’une liste d’effets secondaires qui par parenthèse plongeraient le malade dans l’épouvante si dans la plupart des cas il ne signait une décharge, résigné, sans avoir pris la peine ou manifesté le courage de lire le document qui lui est proposé. De même à la lecture de la notice où sont égrenés, hiérarchisés par ordre de fréquence, les effets nocifs envisageables, souvent nombreux et inquiétants, terrifiants parfois, d’un médicament. 

La médecine anglo-saxonne s’est désormais imposée, encadrée de règles et de références opposables. Elle professe la transparence, la rigueur, l’exactitude. Fondée sur de solides bases cliniques et expérimentales, et des extrapolations à partir de l’épidémiologie et de la statistique, elle a pour corollaire une relative rigidité (bien que ses dogmes, révisables, ne soient parfois que des vérités du moment, et qu’elle ne puisse s’affranchir de la part d’aléatoire à l’échelle de l’individu). Ses principaux écueils sont, de la part du praticien une froideur sans concession, de celle du patient une judiciarisation à tous crins. Cette médecine d’obédience nord-américaine l’emporte en Europe sur une médecine procédant d’un héritage gréco-latin et chrétien médiéval, plus chaleureuse, compassionnelle, accommodante, mais trop souvent intuitive et empirique, avec pour écueils, selon les circonstances, ce qui peut être interprété comme une dissimulation voire un laxisme et une perte de chance pour le malade.

 

Comment au vrai ne pas s’accorder sur une médecine fondée sur une démarche scientifique et une relation basée sur l’engagement et la confiance entre le praticien et son patient, sans zone d’ombre, toute forme de dissimulation à exclure? Cela revient-il dans la pratique à dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, selon la formule du serment qu’on prête devant un juge, à rebours de l’adage selon lequel toute vérité n’est pas bonne à dire.  Entre une vérité assénée telle qu’elle pourrait procéder d’un ordinateur robot qui aurait assimilé le dossier du malade, et la parole médicale, il y a tout ce qui fait de l’exercice de la médecine non plus un art comme on a pu le formuler jadis mais une science où l’exactitude qui ne cesse de progresser est indissociable d’une part d’approximation et d’impondérable. Comment, dans ce contexte, livrer une information loyale, claire et appropriée ?

 

 Considérons le triangle hippocratique : le médecin, le malade, la maladie. Il n’est rien de si beau et légitime que de faire bien l’homme, et dûment, professait Montaigne. Nul plus que le médecin n’est en situation d’exercer les vertus de l’humain, exerçant un métier incomparable qui le conduit à prendre en charge la souffrance d’autrui. Chaque médecin le fait avec son caractère, sa sensibilité, sa culture. Si l’on se reporte quelques décennies en arrière, du temps qu’exerçait un praticien qui tend à disparaître, le médecin de famille, les mots de disponibilité et d’intelligence pragmatique, de confiance réciproque, d’attention rassurante et de réconfort viennent aussitôt à l’esprit, et d’une manière plus générale, à tous les échelons, de l’omnipraticien des villes et des campagnes au grand patron, celui de paternalisme, au meilleur et au moins bon sens du terme selon les individus. Le paternalisme qui sous-tendait l’occultation charitable du diagnostic quand il était fâcheux et une sorte de mise en tutelle du malade voire son infantilisation n’est plus de mise. Insensiblement le médecin est devenu un prestataire, avec une relation plus distanciée, moins affective, dans l’exercice d’un métier désormais comme un autre ou presque, certains y joignant un supplément d’âme, d’autres affichant l’impassibilité d’un bon technicien ; quelques-uns, heureusement rares, d’une relative désinvolture, formulant le diagnostic avec une franchise glaçante, expéditive, marquant une distance ressentie comme de l’indifférence, voire une forme de violence dont s’ensuit quelquefois l’effondrement psychologique du malade. On raconte que Freud, atteint depuis de nombreuses années de leucoplasie buccale due à un tabagisme impénitent, apprenant d’un chirurgien qu’il était atteint d’un carcinome de la mâchoire s’était écrié : de quel droit me dites-vous cela? Qui vous a donné le droit de me tuer ? J’ignore si cette réplique est authentique mais elle exprime ce que ressentent certains malades à l’énoncé sans ménagement d’un diagnostic couperet entendu comme une sentence de mort prononcée par un juge kafkaïen.

 

Les malades, c’est banal de le dire, ont des personnalités aussi diverses que les médecins qui les prennent en charge; avec cette différence qu’ils se trouvent en position de vulnérabilité. Confrontés à une maladie mortelle inexorable et le sachant, ils ont deux manières (je schématise) de se comporter : certains, dûment informés, les traits tendus, le regard, la parole, les gestes avides de ce qu’ils peuvent encore et jusqu’au bout appréhender de ce qui va leur être ôté, vont lutter de tout leur être contre une dépossession ressentie comme un arrachement – chaque jour qui vient ils vont le vivre à plein temps (à plein présent), comme un surcroît de vie gagnée sur l’adversité qui les frappe ; d’autres affichent une forme d’absence, distraits de leur entourage et de leur environnement, comme vidés de leur substance, recroquevillés sur eux-mêmes, ailleurs dans le passé ou nulle part, entre inertie et tension vers un inconnu qui va les absorber – enclins au renoncement à vivre. Entre ces deux extrêmes toutes les variations, les nuances se rencontrent – la révolte ou le déni agressifs parfois, précédant la lutte ou la résignation passive; autant d’attitudes qui rendent d’autant plus complexe l’abord psychologique et l’information à délivrer. Il serait mal venu, dans la plupart des cas, de ne pas énoncer en toute clarté un diagnostic, s’agissant soit d’une maladie curable à court ou moyen terme, soit d’une maladie chronique impliquant une éducation et une bonne observance thérapeutiques indispensables, soit enfin d’une affection exposant les tiers à un risque de contamination : c’est ainsi que la survenue du sida dans les années 80 a joué un grand rôle dans le changement des comportements sur la transparence diagnostique ; avec parfois pour le médecin la situation difficilement soutenable d’une dissimulation inversée, le malade informé du diagnostic ayant refusé que son infection par le VIH soit communiquée à quiconque dans son entourage.

 

L’information va gagner en complexité selon la gravité et le caractère inexorable de la maladie. Le mensonge vertueux dont on s’était fait jadis une règle peut être ressenti comme un équivalent de double peine : à l’impact de la maladie elle-même se conjoignent une explicitation médicale vague chargée de sous-entendus, la négation de la gravité du mal, la dissimulation mal jouée, le faux entrain des proches, et dans le milieu social et professionnel un climat de conspiration du silence insupportable. Tout le monde ne s’exprime plus que par des phrases hésitantes, évasives et fuyantes, ressentait Kafka aux prises avec la tuberculose qui allait l’emporter. Tolstoï a décrit avec pertinence dans la mort d’Yvan Ilitch ce que peut ressentir un malade confronté au mensonge dont on l’environne. Le principal tourment d’Ivan Ilitch était le mensonge, écrit-il (…) il souffrait de ce qu’on ne voulût pas admettre ce que tous voyaient fort bien, ainsi que lui même, de ce qu’on mentît en l’obligeant lui-même à prendre part à cette tromperie. Ce mensonge qu’on commettait à son sujet, à la veille de sa mort, ce mensonge qui rabaissait l’acte formidable et solennel de sa mort… était atrocement pénible à Ivan Ilitch. 

 

La loi relative aux droits des malades (4 mars 2002) fait obligation de dire la vérité au patient : toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé. Le corollaire est d’éviter une asymétrie du discours délivré au malade, souvent mesuré, en comparaison de celui délivré aux proches, volontiers radical – soit un décalage préjudiciable qui place la famille en porte-à-faux dans l’accompagnement.  Le législateur apporte la réserve suivante : la volonté d’une personne d’être tenue dans l’ignorance d’un diagnostic et d’un pronostic doit être respectée (hors risque de transmission).  Une disposition élargie figure dans le code de déontologie médicale (décret du 6 septembre 1995) : dans l’intérêt du malade et pour des raisons légitimes que le praticien apprécie en conscience, un malade peut être tenu dans l’ignorance d’un diagnostic et d’un pronostic graves (à l’exception comme il a été souligné d’un risque de contamination à des tiers). Autant dire que le

primum non nocere doit primer sur l’énoncé de la vérité rien que la vérité. Le code ajoute : un pronostic fatal ne doit être révélé qu’avec circonspection, mais les proches doivent en être prévenus, sauf exception ou si le malade a préalablement interdit cette révélation ou désigné les tiers auxquels elle doit être faite.  En bref la loi et le code de déontologie français ménagent entre vérité et mensonge la possibilité d’une position nuancée.  Dans la partie de cache-cache qui se joue avec la  mort depuis la naissance, la maladie grave qui vient de se manifester suscite un face à face avec sa propre disparition que certains expriment vouloir affronter en toute lucidité, en étant parfaitement éclairés. Aussi pénible à dire, éprouvante pour le patient soit-elle, la vérité s’impose alors, que le patient qui la réclame en exprime les raisons ou les garde pour lui désir de se mettre en règle avec soi-même, sa famille et son notaire, avec Dieu s’il est croyant ; importance de la connaissance exacte de la maladie et des modalités de sa prise en charge pour mener avec toute la détermination nécessaire le combat qui s’engage ; volonté de vivre plus pleinement une vie dont les jours sont désormais comptés.  Une telle force d’âme n’est pas partagée par tous les malades. Ce qui peut être révélé à certains avec une franchise sans détours peut être ressenti par d’autres comme une violence qui les met au désespoir. Il appartient au médecin dans un échange confiant de rectifier les idées déformées que le malade et son entourage se font quelquefois de la maladie, de démystifier celle-ci en la débarrassant des scories de ses métaphores, bref de mesurer ce qui peut être dit et ce qui doit être tu, différé, estompé, nuancé, adouci. Le moment d’affronter une vérité accablante viendra à son heure. Le diagnostic établi avec une relative certitude, le pronostic conserve en effet un temps, parfois long, d’un cas à un autre, une part d’aléatoire. Le lendemain aura soin de lui-même, à chaque jour suffit sa peine, nous rappelle le verset biblique. Le malade attend moins une vérité entièrement dévoilée (d’autant qu’elle emprunte bien souvent plusieurs visages) qu’un accompagnement, une attention, une réponse au cas par cas à ses questions sans qu’elles soient anticipées. Ce dont rend compte avec justesse Jay Katz, médecin américain investi dans l’éthique médicale (cité par Bernard Hoerni) : Que faut-il dire au malade ? Il faut le lui demander… Le malade attend en priorité d’être mis en confiance et soigné avec compétence – que tout le possible soit fait et bien fait ! Et d’être écouté, entendu, accompagné, avec amitié (au sens de la philia) par son médecin, avec amour (au sens de l’agapè) par ses proches. 

LECTURES

 

*Vie et déclin du « mensonge médical ». B. Hoerni. Histoire des sciences médicales 2005-39-349-358.

*Vérité et mensonge dans la relation au malade. C. Geets. Revue théologique de Louvain 1984-15-331-345.

*La maladie comme métaphore. Susan Sontag. Seuil. 1979.

*La mort d’Ivan Ilitch. Tolstoï. Souvenirs et récits. Pléiade pp. 985-1048.

*Loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.

*Code de déontologie médicale. Décret du 6 septembre 1995.

 

Remerciements : cet article est publié avec l'aimable autorisation de l'auteur : Paul Léophonte - Toulouse

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